Le tapis volant

Apprécier et connaître l’art du tapis

Pour apprécier et connaître l’art du tapis, un terme plutôt vague pour évoquer des créations d’une extrême diversité. La zone de tisserands est très étendue : la Perse est le berceau

du tapis, la source à laquelle s’abreuve une tradition séculaire de créateurs de tapis.

La Perse, aujourd’hui l’Iran, est l’un des pays les plus vastes de l’Asie,  avec  une  superficie  de  1  650  000  km2    environ,  répartis principalement en déserts et en montagnes. Les hauts plateaux iraniens sont entourés de puissantes chaînes de montagne. Au nord, la chaîne de l’Elbourz serpente le long des côtes Caspiennes et culmine au sommet du Demavend (5670 m). A l’est, cette chaîne de l’Elbourz descend vers les plaines steppiques du Turkestan, alors qu’au nord-ouest, elle rejoint les contreforts de l’Azerbaïdjan dominés par le mont Ararat. Là commence une autre chaîne mon- tagneuse qui traverse tout le territoire iraniens : le Zagros. Parallèles à l’Elbourz, les monts Zagros avancent vers le golfe persique et se

subdivisent en de nombreuses chaînes de moindre importance qui s’entrouvrent en vallées,

et qui offrent, notamment en été, de vastes pâturages où s’arrêtent habituellement les migrations nomades. Les sommets de l’Elbourz et du Zagros forment une barrière infranchissable aux masses d’air humides en provenance de la mer caspienne et du golfe Persique, ce qui rend les territoires situés entre ces deux chaînes arides et désertiques.

La nation perse a acquis son identité culturelle en se démarquant des civilisations du Croissant fertile, avec la prise de pouvoir des Achéménides (558-330 av. J.-C.).

1

2

L’empire perse a absorbé trois royaumes importants de l’Antiquité : la Médie, la Babylonie et la Lydie. Les Perses, ou Parsoua, faisaient partie, ainsi que les Mèdes, des peuplades qui vivaient sur les hauts plateaux iraniens, ils s’installèrent dans la province actuelle du Fars.

C’est du Fars que partit la conquête de Cyrus le Grand, selon Hérodote, il était le fils de Cambyse 1er   et de Mandane, elle- même fille d’Astyage, roi des Mèdes. En 558 av. JC, lorsqu’il fut devenu roi, Cyrus le Grand s’empara d’Ecbatane, l’actuelle Hamadhan, capitale de la Médie ; ce fut le début d’une longue série de guerres de conquêtes. En 530 av. JC, à la mort de Cyrus, l’empire achéménide comprenait la Médie, la Lydie, Babylone, la Margiane, la Sogdiane et le territoire oriental jusqu’à l’Oxus (aujourd’hui Amou-Daria) et l’Iaxarte (Syr-Daria). On doit à son successeur, son fils Cambyse II (530-522 av. JC), l’annexion de la Lydie, de la Syrie

2 et de l’Egypte.

  • 1 Tapis d’artisan.
  • 2, 3,4 Tapis tribaux.

Au cœur du Fars, à Persépolis, de somptueux palais témoignent de la gloire et de la puissance du souverain. En 331 av. JC, le dernier roi achéménide, Darius III, fut battu à Gaugamèles par l’armée d’Alexandre le Grand. Le rêve d’Alexandre était de fonder un empire qui réunisse Orient et Occident, dans ce but, il chercha à épouser une princesse persane, Roxane, mais malheureusement, sa mort prématurée ne lui permit pas de réaliser ce projet.

Je peux continuer de parler de l’Histoire, mais l’histoire du tapis se confond avec l’Histoire et l’âme de cette région du monde. Ainsi, le plus ancien tapis à points noués connu est le célèbre tapis découvert à Pazyryk dans l’Altaï qui, pour moi, a clairement été réalisé en Perse. Daté du IVe-Ve  siècle av. J.C, il représente un important degré de sophistication qui postule l’existence d’une tradition déjà bien établie, vraisemblablement depuis la première moitié du millénaire avant le Christ.

Les œuvres produites dans une même région sont si variées que le simple fait de les décrire ensemble est source de confusion, tant et si bien que beaucoup d’amateurs renoncent à aller plus avant dans leur découvertes. Pour cette raison j’ai abandonné ici la classification géographique et je préfère diviser les tapis en quatre groupes selon leur mode de fabrication :

tapis tribaux, tapis artisanaux, tapis d’ateliers et tapis de cour.

 

3

Les tissages tribaux

La tisserande tribale ne peut se souvenir des grands dessins complexes

utilisés dans les tapis d’atelier. Son œuvre tirera donc sa puissance

d’expression des couleurs, de l’organisation de l’espace et des proportions qu’elle choisira.

A mon avis, les tissages tribaux ont toujours été florissants chez les nomades dont le mode de vie dépend complètement de la laine et du cuir. Ils maîtrisent l’art de la laine aussi bien que les Egyptiens possédaient celui de la pierre, ils en font des tentes, des cordes, des sangles, des sacs, toutes sortes de paniers, des tapis de feutre pour couvrir le sol, des vêtements pour les gens et des ornements pour les bêtes, ainsi qu’une grande variété

d’objets domestiques, depuis les gants jusqu’aux couvertures. Le travail de la laine est aussi le moyen d’exprimer leur désir profond de créer des choses belles à regarder et de décorer de formes et de couleurs l’objet le plus humble. Ici je vous présente quelques pièces qui vous feront voyager dans le temps comme un tapis volant.

Les travaux artisanaux

La création artisanale est alimentée par des femmes et des hommes qui travaillent chez eux pour accroître leur revenu familial ; parce qu’ils veulent vendre, ils sont toujours à la recherche de nouvelles idées et sensibles à la mode, ils sont donc moins conservateurs que les tisserandes tribales. En revanche, ils ont en commun avec elles leur goût pour les couleurs primaires et un équipement primitif. Ils se procurent les matières premières de différentes façons ; il arrive qu’une famille possèdes ses propres moutons, parfois, les villageoises achètent la laine directement chez un producteur voisin, souvent une tribu des environs ou chez les marchands du bazar. La laine du bazar est sans doute d’une qualité inférieure, il s’agit la plupart du temps de la laine morte qu’on gratte sur la peau de l’animal avant le tannage.

L’acquisition de la laine, puis le prix de la teinture représentent une mise de fonds initiale qu’une tisserande pauvre peut difficilement se permettre, surtout lorsqu’il faudra attendre plus

4

5

de trois mois pour terminer le tapis, le vendre à un marchand et récupérer l’agent. Au lieu de financer le matériel elle-même, elle peut alors obtenir du fil déjà teint auprès d’un entrepreneur qui paiera son travail lorsqu’elle livrera son tapis. Cet arrangement permet au commanditaire d’exercer une influence directe sur le type de tissage et sur la perfection du travail car il choisit la couleur, la taille, la finesse de l’exécution et le motif. Cette méthode présente pourtant un inconvénient évident : personne ne peut superviser la production de centaines de métiers ; il n’y a donc pas de véritable contrôle de la qualité.

Mais il y a aussi l’artisan assez sensible à la demande du marché, quand celle-ci est importante, on met en place des métiers supplémentaires et on travaille davantage. La tisserande est toujours à l’affût d’idées neuves, les motifs qui ont du succès sont copiés et étudiés, et elle en essaie sans cesse de nouveaux. Parfois, elle va jusqu’à réaliser des tapis échantillon pour présenter un choix d’ornements pour le champ et les bordures, ou faire connaître un nouveau dessin, des bouquets de fleurs, qui doivent provenir du motif d’un textile ou d’un endroit spécifique et avoir été jugés bien adaptés à l’endroit. Grâce à ce genre de spécimens, le client pouvait passer sa commande en précisant la taille de l’ouvrage et le décor qu’il désirait.

Les tapis d’atelier

Les tapis d’atelier sont confiés à une équipe de spécialistes parfaitement organisée. Des artistes dessinent les motifs, le tapis d’atelier se caractérise par un équilibre du dessin d’ensemble, c’est le travail du dessinateur, des courbes parfaites, un rythme régulier des bordures tout autour du tapis, une technique sans faille. Des teinturiers harmonisent les couleurs et des tisserandes travaillent à partir de cartons détaillés qui leur permettent d’exécuter avec précision de grands dessins curvilignes. Avec son éventail de couleurs sophistiqué, ses imbrications de motifs et son impeccable réalisation, ce tapis est un bel exemple du style classique produit dans les ateliers persans.

6

Les tapis de cour

Les tapis de cour sont si importants, qu’on sélectionne les meilleurs ateliers connus pour une grande nouveauté et d’une technique très avancée, pour la création de grands tapis suivant les besoins des cours régnantes ; bon nombre de leurs remarquables créations ont été conservées dans des musées, des familles de la noblesse, des mosquées et églises ou des collections privées.

Un rapide examen de quelques données historiques de l’époque de la création de ces ateliers de cour permettra de mieux appréhender l’art des tapis.

Les tapis de cour persane mériteraient une étude particulière et la majeure partie de ce savoir repose sur des conjectures. Les plus anciens ont probablement été tissés à Tabriz durant la période où elle était une capitale ; l’exemple le plus célèbre en est peut-être le tapis de la mosquée d’Ardabil, actuellement au musée de Victoria et Albert de Londres. Comme beaucoup d’inventions artistiques, le thème du médaillon central est très ancien et prend ses racines religieuses et métaphysiques dans l’art du Tapis.

Par exemple l’atelier de tapis du Shâh Tahmäsp, qui régna de 1524 à 1576, était situé à Käshän. Shäh Abbas avait transféré sa cour à Ispahan, il y eut des ateliers très célèbres et connus à Tabriz et ensuite à Ispahan, puis à Kermân, Khuräsän et nombre d’autres villes en Perse, mais les les lieux les plus anciens et les plus actifs, Tabriz, Käshän, Ispahan et Kermän, revinrent au premier plan.

Un message de Paix

Le tapis a toujours constitué un message et un lien en même temps que l’un des bien les plus quotidiens et les plus précieux des hommes de notre peuple. Il fut utilisé dès l’origine comme médiateur et vecteur de paix. Lorsque l’on voulait se concilier une personne, un clan, un tribu, un souveraine, on lui offrait un tapis. La magnificence de la pièce, ses couleurs, ses motifs et ses inscriptions étaient autant d’expression du respect et de l’honneur que l’on conférait à celui qui le recevait. C’est ainsi que le tapis a enrayé bien des conflits et qu’aujourd’hui encore, il possède ses “lettres de diplomatie”.

Un testament spirituel

Message aussi, très fort, que ces tapis réalisés par certains artisans et artistes pour eux-mêmes. Ils ont passé en général des années sur cette œuvre, fruit de leur création propre, dans laquelle ils ont couché avec amour, poésie et force ce que certains écrivains ont dénommé “Ce que je crois”. La plupart de ces “tableaux” représentent en effet une sorte de testament spirituel où, par le

dessin qu’il a créé, les couleurs et les symboles qu’il utilise, l’artiste retranscrit sa vision du monde, les âges et les épreuves – dans leur sens initiatique – de la vie…

7

La puissance des symboles

Le tapis fait totalement partie de la vie de notre peuple. On le trouve sur le sol ou aux murs, en tapis d’usage ou de décoration. Le tissage s’étend également aux superbes selles, coffres… qui sont autant d’objets quotidiens et précieux. En ayant de la sorte introduit cet objet dans son quotidien, notre peuple s’est exposé à baigner chaque jour et à chaque instant

dans l’univers des symboles. Le tapis foisonne en effet de symboles extrêmement variés et l’enfant qui commence sa vie bien proche du

sol, sera depuis son plus jeune âge confronté au sablier qui mesure le temps, au dragon qui protège sa maison, au cyprès qui lui murmure que la vie est éternelle. Les couleurs lui rappellent les éléments, terre, feu, eau, air. Il découvrira le dessin à travers les déliés des arabesques, les formes plus géométriques, les animaux qui courent sur les tapis, sans oublier les fleurs et la végétation.

Chatoiement des couleurs, savante harmonie et équilibre des dessins, force rassurante de signes intemporels… quand je regarde un tapis que j’aime, il me procure apaisement, joie et force.

 

Le devoir de perpétuation

Tous ceux qui sont intimement convaincus que le tapis participe de l’âme et de la culture de notre pays ont permis que cette tradition artisanale très forte continue à vivre, et toute leur vie ont défendu l’art du tapis. Cet art doit beaucoup à tous les artistes qui se sont engagés, leur vie durant, au service de cette cause. C’est aussi, avec passion, le but que nous nous sommes donné, mon frère et moi. Sauver des pièces menacées de disparition afin que ces éléments du patrimoine et de l’histoire puissent enthousiasmer les générations suivantes, faire connaître et répandre le goût des chefs-d’œuvre des artistes et artisans d’hier et d’aujourd’hui, mais aussi, à travers cet objet indissociable de la vie de notre peuple, le tapis, faire découvrir et partager aux autres un certain art de vivre millénaire, une façon harmonieuse d’être et de concevoir l’existence : Telle est notre mission.

8